BIONIQUE

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La bionique est une science interdisciplinaire relativement récente: le mot bionics a été prononcé pour la première fois en 1960, aux États-Unis, au cours d’un symposium. D’une façon très générale, on peut dire qu’elle est une démarche qui porte physiciens et ingénieurs à interroger la nature sur ses propres inventions et à considérer les êtres vivants comme de véritables modèles dont l’organisation hautement perfectionnée doit inspirer l’homme.

Mais une définition plus restrictive la rapproche de la cybernétique. Elle vise alors essentiellement à développer, dans le domaine électronique, des modèles qui reproduisent les systèmes de réception, de traitement de l’information, de commande et d’autorégulation des êtres vivants.

La simple comparaison des dispositifs perpétués par la vie et des réalisations pratiques que l’homme a conçues pour répondre aux différents problèmes qu’il se pose montre que la nature fait souvent mieux que l’ingénieur le plus inventif et qu’elle agit avec une remarquable économie de moyens. Il est vrai qu’elle a mis des millions d’années à élaborer et à perfectionner les mécanismes les mieux adaptés à la conservation et à la reproduction des êtres vivants et que la sélection a pu s’exercer, de ce fait, sur une quantité impressionnante de systèmes naturels sélectionnés par l’évolution.

En réalité, la bionique est un pont entre la biologie et les sciences techniques, domaines qui s’opposent, non seulement par leur vocabulaire, mais surtout par la nature de leurs objets respectifs. Très souvent, les phénomènes biologiques sont plus difficiles à étudier que les phénomènes physiques, car ils se prêtent plus difficilement à l’application d’analyses n’impliquant qu’un petit nombre de variables. Aussi la recherche avance-t-elle à pas lents, en physiologie animale et humaine, si l’on considère les progrès spectaculaires accomplis en d’autres domaines.

1. Les organes sensoriels

Dans le domaine du traitement de l’information, l’être vivant manifeste une supériorité marquée sur la machine. Il capte, par ses organes sensoriels, les informations provenant tant de son environnement que de son milieu intérieur. Ces informations sont transmises par des voies nerveuses, sous forme de messages codés, jusqu’aux centres nerveux de projection ou «analyseurs», où se déroulent des opérations complexes d’intégration, d’association et de rétroaction. Ces opérations traitent en un temps très court et avec une dépense d’énergie très faible le flux d’informations fourni à tout instant par les récepteurs. Ce flux est soit stocké dans une mémoire, soit transféré aux voies nerveuses qui conduisent les réponses jusqu’aux organes effecteurs. Ceux-ci comprennent essentiellement le système musculaire, qui oriente et adapte le comportement, et le système glandulaire, qui rétablit les équilibres végétatifs momentanément perturbés.

Les récepteurs sensoriels captent des signaux de nature variée (électromagnétique, mécanique, acoustique, chimique...), transforment l’énergie incidente en énergie électrique et projettent des messages codés vers les centres spécifiques.

Quelques-uns de ces récepteurs, qui possèdent une sensibilité et une sélectivité particulièrement remarquables, fournissent matière à la recherche des «bioniciens».

Mécanorécepteurs

La cochlée de l’homme et des mammifères, qui convertit les ondes sonores en trains d’influx nerveux, représente le dispositif le plus sensible: le niveau seuil de l’intensité sonore pour l’oreille humaine correspond à une énergie d’environ 10-19 joule et, pour cette intensité seuil, les vibrations de la membrane basilaire de l’oreille interne sont infimes, correspondant à un déplacement de l’ordre de 10-10 m.

Beaucoup d’animaux sont sensibles aux vibrations de basse fréquence, notamment les cyclostomes, les poissons et les larves aquatiques d’amphibiens, dont le système de la ligne latérale, siège du tact à distance, répond aux vibrations de 1 à 25 Hz (1 hertz (Hz) = 1 cycle par seconde), ou encore la méduse, animal inférieur dont les otocystes percevraient des vibrations de 8 à 13 Hz provenant du frottement des vagues sur l’air. Les Soviétiques ont construit, sur ce modèle, une «oreille artificielle» qui permet de prédire quinze heures à l’avance l’arrivée d’une tempête.

À l’opposé, de nombreuses espèces animales sont sensibles aux vibrations de haute fréquence, inaudibles pour l’homme. Certains mammifères, adaptés à la vie aérienne (chauves-souris) ou à la vie aquatique (dauphins, marsouins et autres cétacés à dents), sont munis de dispositifs qui émettent et reçoivent des signaux acoustiques de fréquence égale ou supérieure à 150 kHz. Ce sonar naturel, efficace pour l’orientation et la détection à distance des proies, réalise des performances qui justifient la curiosité manifestée pour ces animaux.

Les petites chauves-souris (microchiroptères) émettent des cris très puissants (de 60 à 170 dynes par cm2 à 10 cm de la source), dont la fréquence varie selon les espèces, mais se situe entièrement dans la gamme inaudible (de 30 à 120 kHz). En se réfléchissant sur les obstacles et les proies environnantes, ces cris ultrasonores permettent à l’animal de se guider avec précision. Les chauves-souris traversent sans encombre, dans l’obscurité complète, des barrières de fils métalliques fins, performance très remarquable si l’on observe que le diamètre des fils (0,5 mm) est petit par rapport à la longueur d’onde du signal (de 3 à 11 mm).

Les émissions sonores de leurs congénères ne gênent pas les chauves-souris, apparemment insensibles à toute tentative de brouillage. Elles sont capables de réagir à des échos dont l’intensité est inférieure d’au moins 35 décibels à celle du bruit ambiant dans la même bande de fréquence que les signaux. On ne sait au juste comment elles extraient le signal du bruit de fond; la connaissance des mécanismes exacts de cette faculté de discrimination serait très profitable aux spécialistes des techniques radar et sonar.

Alors que les premières observations du comportement en vol des chauves-souris datent de Spallanzani (fin du XVIIIe s.), il a fallu attendre 1947 pour que le conservateur d’un «oceanarium» de Floride notât que le dauphin «à nez en bouteille» (Tursiops truncatus ) repérait aisément un filet à mailles fines placé en travers d’un bassin, dans des conditions qui rendent la vision improbable, et qu’il était apparemment doté de la même faculté d’orientation que la chauve-souris commune. Les études sur cet animal, qui se sont développées très vite aux États-Unis, ont révélé que les dauphins possèdent un système sonar qui leur permet de se guider sous l’eau par «écholocation». Ils perçoivent des vibrations acoustiques de fréquence égale ou même supérieure à 150 kHz, et, d’autre part, ils émettent une série de sons dans un spectre de fréquences compris entre 200 Hz et 150 kHz environ, ces sons étant soit des impulsions à front raide d’une durée inférieure à la milliseconde (clicks), soit des ondes presque complètement sinusoïdales (sifflements).

Quand la visibilité est bonne, le dauphin émet des clicks d’orientation, isolés ou en courtes salves, qui lui permettent d’inspecter son environnement et de se faire une idée des gros objets qui se trouvent dans le voisinage. Quand la visibilité est mauvaise, ou s’il détecte une cible, par exemple un maquereau lancé dans le bassin, le dauphin émet de façon répétée des impulsions; de 20 à 30 par seconde, par exemple, elles passent à plusieurs centaines et les clicks explosifs sont si rapprochés qu’ils donnent l’impression d’un grincement de porte; la majeure partie de l’énergie émise passe alors de la gamme audible à la zone ultrasonore.

Le dauphin peut donc faire varier la vitesse et la fréquence de répétition de son sonar, suivant qu’il désire inspecter grossièrement son milieu ou discriminer avec précision une cible, alors que les ingénieurs sont obligés, pour chacune de ces deux opérations, d’utiliser un sonar spécialisé: sonar à basse fréquence et à grande puissance, pour la recherche à longue distance; sonar à haute fréquence, pour la reconnaissance rapprochée.

De plus le dauphin utilise certaines de ses particularités anatomiques pour focaliser ses impulsions acoustiques et déterminer l’emplacement d’une cible. D’après Lilly, il déplacerait sa source acoustique, ce qui créerait un effet Dopler, et il émettrait simultanément deux signaux modulés en fréquence, dont il serait capable d’utiliser les battements pour obtenir des informations.

Le sonar du dauphin résiste au bruit et au brouillage, probablement en raison d’une émission dans un étroit faisceau et d’une audition directionnelle très développée.

Les ingénieurs civils et militaires portent un grand intérêt à ce procédé d’écholocation. Le sonar a des applications militaires, il est également utilisé pour le guidage des aveugles, la pêche en mer, les robots.

Photorécepteurs

La photoréception est un sens presque universellement présent dans le monde animal, mais la capacité de reconnaître les formes et de détecter un mouvement s’est développée et perfectionnée de façon indépendante dans trois grands embranchements: les Arthropodes, les Mollusques et les Vertébrés, chaque groupe ayant résolu à sa manière les problèmes de vision.

L’œil d’un coléoptère, le Chlorophanus , perçoit les déplacements en enregistrant les signaux lumineux qui parviennent à chaque facette de sa rétine, en comparant leur temps d’arrivée au centre cérébral et en intégrant l’information pour apprécier la vitesse et la direction des cibles visuelles. L’étude de son fonctionnement a conduit des spécialistes du Max Plank Institut de Tübingen à réaliser un indicateur de vitesse destiné aux avions.

Une autre réaction bionique intéressante a été étudiée dans le domaine de l’optique: un œil de grenouille électronique, conçu dans les laboratoires de la R.C.A. La grenouille ne peut distinguer ses proies que si elles sont mobiles. Sa rétine est divisée en quatre champs réceptifs, qui détectent respectivement le contraste, les convexités, les bords en mouvement, les ombres. Les vitesses de conduction des influx et les ouvertures sont spécifiques pour chaque champ. Quand un objet passe dans le champ visuel, l’obscurcissement entraîne une réponse des récepteurs d’ombre, qui est transmise très rapidement au cerveau et entraîne sa mise en éveil. L’attention de l’animal se fixe alors sur le bord mouvant de l’objet. Si ce bord est convexe et signifie une proie éventuelle, le détecteur de bords nets, qui possède une faible ouverture, permet une localisation suffisamment précise pour l’attaque et le gobage. L’œil électronique construit sur ce modèle pourra, d’après ses auteurs, fournir un outil utile dans les recherches ayant trait aux problèmes de «reconnaissance des formes»; il constitue un premier pas vers la réalisation d’équipements complexes pour la surveillance, la reconnaissance et le guidage des véhicules.

Quant à l’œil humain, ses mécanismes ont suscité de très nombreuses études. Si l’opérateur humain est encore irremplaçable, malgré les systèmes artificiels de détection ou de guidage, cela s’explique surtout par l’extraordinaire pouvoir de reconnaissance des formes propre au cerveau humain, qui permet à l’homme d’identifier, «d’un seul coup d’œil», les objets significatifs de son champ visuel; l’étude d’un système sensoriel doit donc toujours tenir compte, non seulement du récepteur, mais aussi des centres de projection spécifique et des centres d’association où s’effectue en définitive l’intégration de toutes les données sensorielles.

Chémorécepteurs

La perception et la reconnaissance de certaines substances chimiques sont très développées chez certaines espèces animales. On connaît l’extrême sensibilité du papillon mâle Bombyx mori à l’odeur sexuelle de la femelle, qui est due à une substance chimique identifiée comme l’hexadeca (10 trans 12 cis ) diène-1-ol ou bombykol. L’organe sensible répond en effet à une concentration aussi faible que 10-19 g. À cette sensibilité qui lui permet de détecter une femelle à des kilomètres de distance, ce papillon joint une très grande sélectivité: il faut des concentrations 106 à 1012 fois plus importantes des trois autres isomères cis-trans du même diénol pour obtenir une réponse identique.

Les espèces aquatiques ne sont pas moins bien dotées sous l’angle de la chémoréception: le saumon, par exemple, répond par une réaction spécifique à la présence dans l’eau de l -sérine (à l’exclusion même de l’antipode d -sérine) à la dilution de 10-11 g/l.

L’odorat humain (bien que l’homme soit moins doué à cet égard que beaucoup d’animaux) détecte un grand nombre de molécules très différentes. Sa réponse est instantanée, son fonctionnement permanent et son support anatomique miniaturisé à l’extrême, autant d’avantages qui lui confèrent une supériorité incontestable sur les appareillages les plus modernes.

Il est donc intéressant, du point de vue bionique, de chercher à copier les chémorécepteurs naturels pour obtenir des «nez synthétiques» dont les applications seraient multiples. Diverses tentatives ont, d’ailleurs, été déjà faites dans ce sens, mais on n’a pu jusqu’ici reproduire la performance principale de l’appareil sensoriel: fournir une réponse spécifique pour chaque molécule particulière.

Thermorécepteurs

Les êtres vivants possèdent des récepteurs thermosensibles qui, chez l’homme, sont groupés dans certaines zones de la peau et sont sensibles, au niveau du seuil, à des variations de température de l’ordre de 0,001 à 0,004 0C.

Plusieurs espèces de Serpents, notamment le serpent à sonnettes, ou crotale, détectent des variations thermiques aussi faibles que 0,001 0C (une main humaine est perçue à 30 cm de la tête). Leurs organes sensibles sont deux fossettes situées de chaque côté de la tête, entre l’œil et la narine. Le rayonnement infrarouge agit directement sur les terminaisons nerveuses, qui atteignent à ce niveau une densité extraordinaire (de 500 à 1 500 par mm2), sans l’intervention d’un dispositif amplificateur quelconque entre le stimulus et la fibre nerveuse afférente. Cet organe des crotales ne surclasse pas en sensibilité les détecteurs équipant certains missiles «à tête chercheuse». Il constitue, en raison de son haut pouvoir de résolution, un modèle permettant de trouver des solutions au problème de la détection des radiations infrarouges. Il est aussi utilisé pour les systèmes d’alerte.

Électrorécepteurs

La plupart des animaux perçoivent l’énergie électrique comme un choc désagréable, à la condition qu’elle soit suffisamment intense. Il existe cependant au moins trois familles de Poissons vivant dans les rivières tropicales d’Afrique et d’Amérique du Sud, qui sont capables de détecter de petits changements survenant dans le champ électrique de leur environnement. Ces poissons émettent des décharges rythmiques faibles (quelques volts à sec) dont ils se servent pour détecter les objets ayant une conductivité différente de celle de l’eau, grâce à des électrorécepteurs très sensibles. Ce procédé de repérage par émission-réception de champs électriques faibles (électrolocation ou électrolocalisation) contribue à l’amélioration de certains systèmes de détection et de guidage.

Orientation dans l’espace et le temps

Les procédés utilisés par les animaux pour s’orienter sont complexes et variés. Si nous connaissons relativement bien les procédés de repérage à courte distance, nos connaissances sont beaucoup plus vagues en ce qui concerne l’orientation à longue distance de nombreux animaux migrateurs, qui met en jeu des mécanismes très complexes, voire des sens hypothétiques (sensibilité aux gradients du champ magnétique terrestre, aux variations des forces de Coriolis, aux ondes hertziennes). D’autre part, la navigation astronomique de certains oiseaux (fauvette babillarde) et de différents arthropodes (abeille), les rythmes auxquels sont asservis la physiologie et le comportement de multiples êtres vivants impliquent nécessairement l’existence d’«horloges biologiques», dont le réglage et le fonctionnement nous échappent. Les progrès de nos connaissances dans ce domaine enrichissent la technologie des systèmes de guidage et de navigation.

2. Le système nerveux et l’électronique

Les systèmes d’information des êtres vivants ne comprennent pas que des capteurs sensoriels électivement excités par certaines caractéristiques physiques ou chimiques du monde extérieur. Les signaux perçus sont ensuite traduits en langage codé et transmis par le système nerveux afférent jusqu’aux centres où fonctionnent des systèmes intégrateurs et ajusteurs très complexes chargés de déchiffrer ces messages, de mettre en mémoire certaines informations et d’élaborer les schèmes moteurs en vue d’un comportement donné.

Les propriétés remarquables du système nerveux ont suscité dès le début la curiosité des cybernéticiens. Un grand nombre de spécialistes se sont efforcés de déchiffrer les lois générales qui régissent son fonctionnement et les ressorts secrets des processus mentaux qui caractérisent l’activité des êtres supérieurs. La neurophysiologie est une des disciplines biologiques qui peut apporter le plus à la bionique. Le cerveau a été fréquemment comparé aux calculatrices digitales. Dans celles-ci, les signaux sont constitués par des impulsions électriques de très courte durée. Les informations sont fournies à la machine en langage binaire, tout chiffre s’exprimant par une combinaison de zéros et de uns, signifiant soit l’absence, soit la présence d’une impulsion de courant électrique.

Dans le système nerveux, la transmission de l’excitation est un processus électrochimique se traduisant par une onde de dépolarisation qui se propage le long de l’axone. Cette onde résulte des modifications dans la perméabilité de la membrane cellulaire vis-à-vis des ions, qui, lorsque le neurone est au repos, sont répartis inégalement sur ses deux faces en vertu d’un équilibre dynamique dont le mécanisme précis demeure inconnu. Le processus électrochimique qui traduit l’excitation de la cellule nerveuse se déroule aux dépens de l’énergie interne accumulée dans cette cellule. Le nerf est un convertisseur binaire à double sortie: avec présence ou non de signal. Le degré d’excitation s’y traduit par l’élévation de la fréquence de succession des impulsions. La transmission des informations par le nerf se fait donc par un procédé de modulation de fréquence des impulsions. Dans cette transmission nerveuse, un grand rôle est joué par les synapses, où l’excitation passe d’une cellule nerveuse à une autre. Par leur intermédiaire un neurone se trouve en contact avec de nombreux autres. Certaines synapses sont excitatrices, d’autres sont inhibitrices, et le neurone n’entre en action que si l’excitation qui lui parvient dépasse un certain seuil.

De nombreuses expériences ont été réalisées pour reproduire artificiellement ces unités élémentaires du système nerveux, ainsi que les assemblages complexes de neurones qui conditionnent les activités supérieures des êtres vivants et dont la connaissance permet de réaliser dans le traitement de l’information et dans les domaines de l’automatique et de la robotique des progrès considérables, particulièrement dans certaines directions.

Le système nerveux assure certaines fonctions avec un degré de sûreté élevé, fiabilité , dû sans doute à l’extraordinaire abondance des éléments qui peuvent les effectuer. Il obéit ainsi au principe de la réservation bien connu en technologie. La mise hors de service d’un certain nombre d’éléments ne suspend pas une fonction déterminée, mais diminue simplement la probabilité de sa réalisation. Il existe pourtant, semble-t-il, une différence radicale entre les systèmes vivants et les dispositifs techniques. Dans ces derniers, les éléments de réserve ne sont branchés que lorsque ceux qui sont en service viennent à défaillir, tandis que, chez les vivants, tous peuvent, en général, fonctionner en même temps, mais avec un moindre rendement, et la mise hors de service de certains d’entre eux entraîne seulement un travail plus intense de ceux qui restent.

Les êtres vivants conservent une somme énorme d’informations pendant une durée très longue et les restituent à la demande. Le mécanisme exact de cette faculté, la mémoire , est encore inconnu. Pour certains, les souvenirs circuleraient continuellement dans des circuits oscillants neuroniques, analogues à certaines mémoires électroniques; pour d’autres, ils seraient stockés dans les cellules nerveuses sous forme de protéines porteuses d’informations spécifiques.

La faculté d’apprentissage et surtout la possibilité d’abstraction , qui confère au cerveau humain son merveilleux pouvoir de reconnaissance des formes et des sons et constitue la principale caractéristique de l’intelligence conceptuelle, permettent à l’homme de concevoir des relations entre des éléments donnés (compréhension) et d’imaginer des possibilités d’action (invention).

Le cerveau est un système auto-adaptatif qui établit lui-même ses propres programmes. Aussi l’opérateur humain est-il encore indispensable dans beaucoup de postes de commande et de contrôle nécessitant un jugement sûr et une prise de décision rapide.

Quand on aura souligné la miniaturisation du cerveau humain (les 10 à 15 milliards de neurones tiennent dans un volume très réduit) et l’extrême économie de son fonctionnement (dépense d’énergie de l’ordre de quelques watts), on comprend l’intérêt des essais de modélisation simulant les mécanismes qui entrent en jeu dans les centres nerveux.

Les perceptrons , conçus par Frank Rosenblatt au Cornell Aeronautical Laboratory, sont des machines auto-adaptatives, capables d’apprendre. Elles suscitent un gros intérêt du fait des applications multiples qu’elles ont permis: surveillance sonar ou radar, interprétation de photos aériennes, diagnostic médical, informatique et intelligence artificielle...

3. Les organes effecteurs des systèmes naturels

Les organes moteurs ou «organes de sortie» de la machine vivante sont dotés de dispositifs d’une remarquable efficacité; ce sont des systèmes asservis perfectionnés. Grâce à des organes périphériques de renseignements, fuseaux neuro-musculaires et organes tendineux de Golgi, le système nerveux central est informé en permanence des déplacements des membres et d’autres parties du corps. De la sorte, il assure le jeu coordonné des groupes musculaires pour la production de mouvements finement ajustés à l’effet recherché. Cette commande adaptative ne relève pas uniquement des asservissements classiques et, à ce titre, elle intéresse les automaticiens.

Les muscles constituent de merveilleuses réalisations techniques et sont des modèles fort intéressants pour l’ingénieur en cinématique et en mécanique. D’une part, ils sont le siège d’une transformation d’énergie chimique en énergie mécanique, avec un bon rendement de l’ordre de 25 p. 100 et, d’autre part, ils réalisent souvent de hautes performances, avec une grande sûreté de fonctionnement.

4. Bionique «appliquée»

Les recherches à caractère bionique débouchent sur de nombreuses applications.

Dans bien des cas, l’homme devra se contenter d’exploiter directement les «brevets» inventés par la nature, en considérant l’organe intéressant ou l’organisme tout entier comme une «boîte noire», dont il ne cherchera pas à connaître ni à contrôler le mécanisme interne. Peu satisfaisante pour l’esprit, cette attitude a l’avantage d’être rentable à bref délai et d’éviter des problèmes d’une grande aridité liés à la nature même des mécanismes en cause. Il pourra, par exemple, utiliser telles quelles les aptitudes particulières de certains êtres vivants, qu’il s’agisse de micro-organismes fournissant de l’énergie électrique bon marché, dans des «piles à bactéries» par exemple, ou bien d’animaux supérieurs tels que le dauphin.

Dans d’autres cas, seul l’organe intéressant sera incorporé dans un ensemble, mécanique ou électronique, de façon à construire une machine mixte pourvue de composants biologiques hautement miniaturisés à bas prix de revient et à fonctionnement sûr (cellules nerveuses constituant des éléments de calculatrice, appareil de détection chimique utilisant des organes sensoriels d’insectes).

On pourra enfin extraire, de certains tissus ou organes, un signal électrique et l’utiliser directement pour mettre en marche ou contrôler un moteur ou un dispositif électronique. C’est ce qui a été réalisé, par exemple, dans la «main articulée bio-électrique» fabriquée à Moscou, dont le jeu utilise, après les avoir amplifiées, les tensions myo-électriques recueillies dans les régions cutanées voisines des muscles en contraction.

Le fonctionnement des systèmes vivants inspirera aux ingénieurs des idées nouvelles: un organe sensoriel, même s’il présente une faible sensibilité dans son environnement naturel, peut voir ses possibilités multipliées.

À titre d’exemple, citons le gyroscope à lames vibrantes construit par la Sperry Rand Corporation; bien plus sensible que les appareils classiques et moins altéré par les fortes accélérations, son principe est fondé sur l’observation du fonctionnement d’appendices mobiles, appelés haltères ou balanciers, qui, au cours du vol, renseignent certains insectes (diptères) sur tous les changements de direction.

On peut enfin copier très exactement les dispositifs biologiques. Dans cette entreprise, il convient de ne pas être trop ambitieux, car la plupart des modèles vivants mettent en jeu des mécanismes qui échappent à notre entendement et des matériaux que notre chimie ne sait pas encore synthétiser.

«La qualité de toute imitation dépend de la connaissance que l’on a du modèle à copier et des moyens dont on dispose pour la réaliser. Le devoir du biologiste, si bionicien soit-il, est d’affirmer que l’étendue de ses ignorances actuelles devant l’insondable complexité des machines vivantes lui interdit d’entretenir chez l’ingénieur, si puissants que soient les moyens de réalisation de ce dernier, l’espoir naïf de trouver dans les modèles biologiques existants des solutions toutes prêtes aux problèmes qu’il se pose» (Paillard).

Il faut, d’autre part, reconnaître que si, dans certains cas, le plagiat semble plus «payant» que l’originalité, il en est beaucoup d’autres, au contraire, où une telle démarche risquerait de conduire à une impasse, tant il est vrai que certaines solutions adoptées par la vie ne sont manifestement ni les plus économiques, ni les plus pratiques. Cela s’explique par le fait que la dynamique évolutive qui, depuis leurs origines, a guidé le développement des êtres organisés jusqu’à leur perfectionnement actuel n’a jamais pu faire machine arrière ni créer quelque chose d’entièrement nouveau, mais n’a pu que travailler, par «essais et erreurs», sur une matière déjà structurée et des organismes dont les plus rudimentaires nous semblent déjà fort complexes. La vie a donc été très rapidement prisonnière de son passé et des options qu’elle a dû prendre très tôt pour résoudre les multiples problèmes qu’ont posés le maintien des organismes vivants sur une terre inhospitalière et leur adaptation aux biotopes qu’ils ont successivement colonisés.

Il n’est donc pas surprenant que l’Homo sapiens , grâce à son intelligence formelle, ait pu surpasser la vie (ou la devancer) dans certains domaines. Ainsi, la roue, la structure la plus ingénieuse que l’homme ait conçue pour le transfert de force, n’a jamais été utilisée par les animaux. C’est évidemment parce qu’une roue n’a pas de connexion structurale directe avec son moyeu, tandis que toutes les parties du corps de l’animal requièrent des connexions permanentes pour transporter l’influx nerveux, le sang... Chaque partie du corps vivant est reliée au reste par des vaisseaux sanguins et des nerfs qui seraient détruits rapidement par une torsion continuelle. Aussi la nature n’utilise-t-elle jamais une véritable roue, elle se sert seulement de leviers, qui se déplacent de haut en bas, ou de droite à gauche, mais n’effectuent jamais de révolutions complètes autour d’un axe immobile.

Les solutions radicalement différentes qui ont été apportées par la nature et par l’homme pour «faire voler le plus lourd que l’air» en sont une autre démonstration.

C’est donc un conseil de modestie et de prudence que le biologiste se permet de donner en premier lieu à l’ingénieur «bionicien». Pour opérer un choix judicieux parmi les phénomènes candidats à une étude bionique, il semble opportun de se référer à deux critères essentiels, l’utilité et la «faisabilité», en se posant les questions suivantes: le phénomène biologique est-il intéressant pour les ingénieurs? Sa connaissance est-elle susceptible de faire progresser notre technologie d’une façon quelconque? Le phénomène biologique est-il suffisamment connu sur le plan morphologique et physiologique pour être exploitable par les moyens de la technique actuelle? En maîtrise-t-on toutes les variables importantes?

Si elle veut dépasser son aspect purement spéculatif et répondre aux espoirs qu’elle a fait naître, la bionique doit devenir l’affaire commune de spécialistes qualifiés, aussi bien dans les disciplines biologiques que dans les sciences mathématiques et techniques.

bionique [ bjɔnik ] n. f.
• 1958; de bio- et (électro)nique
Science interdisciplinaire qui s'inspire des modèles fournis par les animaux pour l'émission, la réception et le traitement des signaux, en vue d'une application à l'électronique; élaboration de systèmes et construction de mécanismes imités du monde vivant, et du cerveau humain en particulier. cybernétique; biochimie, biomécanique, biophysique.

bionique nom féminin (américain bionics, de biology et electronics) Confrontation, scientifiquement conduite, entre les inventions humaines et les processus biologiques (détection, locomotion, orientation), en vue d'offrir aux ingénieurs des modèles dont l'imitation peut être utile, et, à l'inverse, de mieux interpréter certains organes et fonctions par comparaison avec des inventions humaines. ● bionique adjectif Relatif à la bionique.

bionique
n. f. BIOL Science qui étudie les phénomènes et les mécanismes biologiques en vue de leurs applications industrielles. (Ainsi, l'hélicoptère a été inspiré par le vol de certains insectes, le sonar par le système d'ultrasons dont dispose la chauve-souris, etc.)

⇒BIONIQUE, subst. fém. et adj.
Science qui a pour objet l'amélioration de la technologie (en partic. de l'électronique) en tirant profit de l'étude de certains processus biologiques observés chez les êtres vivants.
Rem. 1. Attesté dans Lar. encyclop. Suppl. 1968 (qui donne en électron., le synon. bioélectronique) et dans ROB. Suppl. 1970. 2. Cf. l'art. consacré à cette sc. dans Méd. Biol t. 1 1970.
Emploi adj. Qui est relatif à la bionique.
Rem. 1. Attesté dans ROB. Suppl. 1970. 2. On rencontre dans la docum. bionicien, ienne, subst. Scientifique spécialisé dans la bionique (attesté dans ROB. Suppl. 1970). Les recherches des bioniciens (cf. Méd. Biol. t. 1 1970).
Prononc. :[]. Étymol. et Hist. 1963 (PERRAUD). Empr. à l'anglo-amér. bionics, contraction de bio[logy] et [electro]nics, forgé par J.-E. Steele, collaborateur des Air Force's Aerospace Medical Laboratoires, pour désigner le thème du symposium [Bionics Symposium] qui réunit en 1960 des biologistes, des physiciens, des mathématiciens, des spécialistes en électricité ... aux fins d'étudier l'apport de l'analyse de systèmes biologiques au fonctionnement de systèmes artificiels calqués sur eux (cf. Bionics Symposium, 1961, E.E. Bernard and M.R. Kare [eds] dans Encyclop. brit.).
BBG. — GIRAUD (J.), PAMART (P.), RIVERAIN (J.). Mots dans le vent. Vie Lang. 1970, p. 712. — QUEM. 2e s. t. 1 1970, p. 7.

bionique [bjɔnik] adj. et n. f.
ÉTYM. 1958; empr. à l'angl. bionics, formé sur biology et electronics; de bio-, et (électro)nique.
Didact. Qui concerne la biologie et l'électronique.N. f. Science interdisciplinaire qui s'inspire des modèles fournis par l'analyse de la vie animale (pour l'émission, la réception et le traitement des signaux) en vue d'une application à l'électronique et aux diverses sciences techniques; élaboration de systèmes et construction de mécanismes imités du monde vivant, notamment dans le domaine de l'orientation et de la détection. Cybernétique; biochimie, biomécanique, biophysique.
0 (…) un chirurgien avait appris (à Wiener) comment les muscles de nos doigts sont commandés par des impulsions qui circulent dans les nerfs du poignet. Wiener fait construire par un cybernéticien un appareil qui recueille dans ses électrodes ces impulsions nerveuses, les décode, les amplifie, les renvoie à une main métallique pourvue d'articulations semblables aux nôtres. Elle fonctionne. On la relie au poignet d'un homme dont la main avait été coupée accidentellement : elle obéit aux impulsions nerveuses exactement comme une main naturelle. Chirurgien et cybernéticien avaient, grâce à la bionique, résolu le terrible problème du manchot.
Planète, no 4, févr. 1969, p. 61, La bionique ou l'art de copier la nature.
DÉR. Bionicien.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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